Il y a des coins de France où la géographie a été massacré par l’homme : industrialisation, usines monstrueuses, zones d’activités, aéroport, pétrochimie… On aimerait pouvoir revenir 50 ou 60 ans en arrière pour se faire une idée des lieux à cette époque. C’est exactement le thème de cette balade dans les Bouches-du-Rhône guidée par Cédric Tassan de VTOPO, à proximité de l’étang de Berre haut-lieu de l’industrie française.
J’ai choisi mon jour : tempête de Mistral. Toute la nuit le vent a soufflé et ce matin, au réveil, c’est le déchainement. Les arbres sont malmenés par ce vent tempétueux. Même si la région est souvent balayée par ces forts épisodes, il n’en reste pas moins que cela surprend. Heureusement depuis quelques jours, les températures sont bien remontées. Cela ne devrait pas être aussi glacial que cela. Par précaution, je glisse un fin coupe-vent dans mon sac-à-dos. Pas la peine de trop me charger, je sais que je ne suis pas trop frileux que ça. Et puis quand on bouge sur le vélo, la température corporelle grimpe assez vite, il n’est donc pas nécessaire de se couvrir comme un ours. Je tente même le maillot manches courtes. Là, c’est plus osé, mais je verrai…
Cap au nord pour ma part, même si la plupart des pratiquants mettront cap au sud pour aller faire cette balade. Le site n’est pas très loin de chez moi, une petite heure de route, mais cela fait 20 ans que je n’ai pas du y mettre les roues. Le spot a du bien changer j’imagine, pas sur que je reconnaisse les lieux. Je quitte mon véhicule dans un lotissement du côté de Port-de-Bouc. N’ayant pas trouvé de place ailleurs, je demande toutefois à un riverain si mon véhicule ne gêne pas. Je sais que je suis garé dans une zone privée. Il est toujours préférable de demander plutôt que de faire l’autruche. L’accueil est chaleureux, je peux aller pédaler tranquille. Ici le vent souffle encore plus fort que chez moi. Nous sommes alignés avec la vallée du Rhône, plus rien n’arrête le Mistral qui descend en furie le long du fleuve. J’attaque face au vent, je me fais bien brasser. Les immenses lignes électriques qui alimentent les usines et le grand port de Marseille font un bruit assourdissant. Je traverse rapidement cette première zone sans grand intérêt pour pénétrer dans la forêt domaniale de Castillon. Changement radical de décor : la nature devient belle et sauvage. Les arbres offrent un bel abri au Mistral, c’est bien plus agréable de rouler. Rapidement, je prends à droite et descend me réfugier le long de l’étang du Pourra. Il est quasiment à sec, on croirait le cône d’un volcan endormi. Je prend le joli sentier balisé qui le surplombe. La falaise à ma gauche offre un rempart naturel au vent, je suis totalement abrité. Le cheminement est ludique, rapide, agréable sur un sol de terre rouge. Plus loin 2 épingles techniques à la montée donnent du fil à retordre. Ici les ascensions ne sont jamais très longues mais elles font mal aux jambes. De retour sur plateau, je me perds volontairement dans la forêt à la recherche de jolis sentiers. Certains sont roulants, d’autres bien techniques. Les rochers calcaires du plateau offrent quelques descentes cachées et relevées. A certains moments, le vent est si fort que les arbres grincent. Ce n’est pas toujours rassurant. Et j’avoue que ce n’est pas très conseillé de venir en forêt avec un tel vent. Mieux vaut rester en alerte, prendre un pin centenaire sur la tête ne doit pas être au programme. Plus bas, je rejoins le sentier qui longe le canal des Martigues. A ma gauche, 2 nouveaux étangs, de l’Engrenier et de Lavalduc. Et quel spectacle : ici l’eau est de couleur rose, due à la présence des petits crustacés qui apprécient les marais salants. Car en effet ce ne sont pas des étangs d’eau douce. Propriété des Salins du Midi, qui en ont fait un bassin de stockage de saumure, l’étang de Lavalduc est situé à une altitude moyenne d’environ 10 m sous le niveau de la mer, il s’agit du lieu le plus bas de France. La salinité de l’étang de Lavalduc aujourd’hui est artificielle, puisque provenant de la saumure injectée par des conduites souterraines depuis les gisements de sel gemme de Manosque, une ville située à 80 km à vol d’oiseau d’ici ! En fait pour rééquilibrer les immenses cavités de sel exploitées de Manosque, l’état français a pris la décisions en 1968 de les combler avec du pétrole importé, créant ainsi un immense stockage stratégique d’hydrocarbures pour la France. Concrètement quand de la saumure est extraite des sous-sols et envoyée dans les étangs par un long système de tuyaux souterrains, du pétrole est injecté pour compenser le vide généré. Un système ingénieux qui se déroule jusqu’à 1000 m sous terre ! Impossible d’imaginer une telle mécanique quand on contemple ces étangs magnifiques. C’est à peine si on devine les immenses usines de Fos-sur-Mer quand on prend de la hauteur.
Au bout de ce sentier, je grimpe aux portes du site historique de Saint-Blaise. Depuis quelques années, le lieu a été réaménagé pour le bien être des visiteurs. Mais en même temps il a subi les affres de l’incendie. Je me rappelle qu’à l’époque on grimpait sous de magnifiques pins. Désormais ce n’est plus le cas, le spectacle est forcément plus triste pour celui qui l’a connu avant. D’ailleurs, depuis que je parcours en long en large et en travers la Provence, les forêts disparaissent plus vite que ce qu’elles poussent. J’avais lu il y a quelques années qu’il est une certitude qu’elles disparaîtront de la Provence, le feu grignote plus vite que ce que l’arbre pousse. A Saint-Blaise, l’intérêt de l’homme pour ce site n’est pas récent. L’oppidum trouve son ancrage dans l’histoire au Néolithique, presque 5000 ans avant J.C. C’est un lieu qui mérite le détour et la visite. Même si les restes ne sont pas visuellement impressionnants, on peut y découvrir des vestiges sur ce site naturel qui ont plusieurs milliers d’années. A l’époque des Etrusques, le lieu a connu une grande prospérité. Une très importante source d’eau douce permettait aux habitants de ne jamais manquer du précieux liquide alors que le site est situé sur un plateau qui domine tous les environs. Je dépasse la magnifique chapelle et continue mon exploration. Plus loin, je cherche un sentier pour descendre du plateau. Bien que courte, la descente est vraiment fun, quelques virages, des appuis, des marches et toujours le même plaisir de rouler. Je déboule dans une forêt de pins et attaque une nouvelle montée technique. Il faut en garder sous la pédale car ce n’est pas juste quelques mètres qu’il faut franchir. Le terrain est raide, étroit, raviné, encombré. Il faut tenter de trouver la bonne trajectoire immédiatement, garder un rythme soutenable pour le cardio et regarder loin. Chaque court palier dans l’ascension permet de reprendre son souffle… En haut, je poursuis par un bon sentier puis une nouvelle courte descente joueuse. En sortant du bois, je tombe sur le village de Saint-Mitre-les-Remparts et m’offre une petite visite des ruelles étroites. Le vieux village est magiquement rénové, je discute avec un habitant qui me donne quelques clefs de compréhensions et m’invite à aller visiter l’église classée. Après quelques escaliers descendus prudemment pour ne pas importuner les riverains, je laisse le village pour plonger à nouveau dans la forêt. J’enchaine les sentiers, ils sont à foison. Sans mon GPS, je serai déjà perdu. Impossible de naviguer sans une trace ici. Les bifurcations sont tellement nombreuses ! Désormais, à travers des trouées d’arbres j’aperçois une grande étendue bleue, c’est aussi un étang, le plus grand de France ! L’étang de Berre est un site magique. Malheureusement défiguré par l’homme sur sa partie sud qui s’est dit que c’était l’emplacement rêvé pour y mettre un aéroport, une industrie pétrochimique, des usines… Mais ici, quand on voit ces pinèdes qui se jettent dans l’eau et ces maisons accrochées au rivage, on se dit que c’est un petit paradis !
J’attaque une nouvelle ascension, je souhaite découvrir cette dernière colline accrochée à l’étang. Tout au long de la montée, je ne peux qu’admirer le bleu profond de cette masse d’eau. Je quitte le chemin large pour grimper un sentier étroit et technique. Une fois en haut, je découvre un chemin de ceinture magnifique. Sous les bois, il joue aux montagnes russes. Entre les arbres, mon regard plonge dans l’eau. C’est très sauvage et pourtant on est pas très loin des grandes agglomérations des Bouches-du-Rhône. De l’autre côté, j’entame une descente bien ravinée et parfois très technique. C’est surprenant, on passe du très facile au très dur d’un coup… Il faut bien rester réveillé ! Je file ainsi jusqu’aux rives de l’étang. Le vent souffle en furie, lève des paquets de mer, les crêtes des vagues sont blanches, l’eau est arrachée par le Mistral. Ici point de sable ni de galet sur la plage, mais des coquillages ! Une couche épaisse tapisse les rives de l’étang : des bivalves, des coques, des palourdes, des moules, des pétoncles, des nasses, des cérithes… Je m’arrête quelques minutes pour faire une pause, le temps de contempler et de croquer dans un fruit. Pour le retour jusqu’à mon véhicule, j’évite au maximum les zones d’activités et les grandes routes, suivant mon GPS qui me guide sur le moindre sentier caché. Comme un pied de nez à l’aménagement hideux du territoire, je profite jusqu’au bout d’une nature sauvage, comme celle qui existait il y a sans doute plus de 50 ans…